Alors que la pratique de l'intarse n'a jamais
fait l'objet de prescriptions réglementaires dans le cadre des
institutions régissant les métiers du meuble en pays germanique,
il est curieux de constater que les techniques du placage sont
fréquemment mentionnées dans la législation du chef-d'oeuvre.
L'explication est simple : l'intarse relève uniquement
des arts décoratifs et, à ce titre, la liberté du procédé est
laissée à l'initiative de chacun, selon son talent et sa fantaisie.
Il en va tout autrement des techniques du placage, car avant toute
préoccupation d'ordre esthétique, elles répondent aux exigences
de l'éthique, professionnelle des menuisiers rhénans. D'où le
sérieux qui préside à cette sorte d'ouvrages, codifiés par les
règlements dès la fin du XV ème siècle.
Lorsque l'obligation de plaquer, furnieren,
est notée pour la première fois à Ulm, en 1497, il ne s'agit pas,
en fait, de l'introduction d'une technique nouvelle, mais de la
confirmation officielle de son utilité.
Il est bien connu, en effet, que les règles de
métier ont moins vocation d'innover que d'entériner des méthodes
qui ont déjà fait leurs preuves et que les praticiens les plus
autorisés jugent à propos d'imposer à tous pour l'avancement de
leur profession. Il en est ainsi de l'art du placage.
La découverte de ses propriétés protectrices
garantissant la longévité du meuble remonte à l'antiquité. Les
menuisiers établis en Allemagne du Sud en prennent conscience
à l'époque gothique, précédant en cela leurs confrères du Nord
qui préféraient alors les ouvrages de bois massif, le chêne en
l'occurrence . Il est possible de suivre le développement des
techniques du placage en pays rhénan, en tenant compte de la chronologie
des codes qui veillent à leur application.
En 1519, première allusion à la pratique du contre-placage,
consistant à plaquer la face interne du bâti. Elle émane des archives
des menuisiers d'Augsbourg, toujours à la pointe du progrès :
ordre est donné aux aspirants à la maîtrise d'exécuter "
une table en bois dur dont le plateau doit être plaqué de tilleul
sur les deux faces ".
Il semble que l'exemple des Augsbourgeois n'ait,
pas eu d'échos immédiats dans les autres villes du Saint-Empire.
A Strasbourg, en 1571, c'est avec un décalage d'un demi siècle,
qui accuse le retard de l'an provincial, que les menuisiers inscrivent
dans leurs règlements. Les techniques du placage et de son complément,
le contre-placage. Mais depuis le texte promulgué à Augsbourg
en 1519, que de progrès accomplis dans les applications de l'art
du placage! Les termes de métier dont usent les menuisiers strasbourgeois
pour codifier cet art prouvent qu'ils en conçoivent clairement
les modalités et le but.
Lorsqu'ils commandent au chef-d'oeuvrier de plaquer
au moins la face externe de l'armoire de maîtrise, ils précisent
bien qu'il lui faudra " placer en fil croisé " la feuille
de placage sur le bâti. Ils savent donc parfaitement que le bois
du bâti ne joue pas dans le sens de ses fibres et que, pour l'empêcher
de travailler, il suffit de poser la feuille de bois de placage
à contre-fil.
Ils connaissent également le moyen de conjurer
plus sûrement les effets désastreux du travail moléculaire du
bâti en lui appliquant une contre-plaque, " c'est-à-dire
en plaçant à contre-fil une feuille de bois sur la face interne
du bâti ". Cette opération complémentaire visant à opposer
une double résistance au travail du bâti est conseillée au chef-d'oeuvrier,
mais elle ne lui est pas imposée.
En fait, comme en témoignent les nombreux vestiges
de leur art, les menuisiers strasbourgeois jugeaient la précaution
superflue, ce que confirme l'excellent état de conservation des
bâtis et du placage qui en recouvre la face externe.
